mardi 27 janvier 2009

DROITS-AFRIQUE: Justice constitutionnelle en voie de normalisation africaine

CAP TOWN, 26 janvier (IPS) -

La jurisprudence de l'Afrique s’est beaucoup améliorée depuis le début des années 1990, mais beaucoup de travail reste à faire pour améliorer les structures de justice à travers le continent.
Prenant la parole à la toute première Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, qui s'est tenue au Cap du 22 au 24 janvier, Gianni Buquiocchio, secrétaire de la Commission de Venise, a déclaré qu'il ne peut y avoir de véritable démocratie dans un pays sans un système judiciaire indépendant.

Près de 3.000 juges des Cours suprêmes ou Cours constitutionnelles du monde entier se sont réunis pour cette conférence visant à faciliter l'interaction, la coopération et la discussion entre les tribunaux. La conférence a été organisée par la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud et la Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l'Europe sur les questions constitutionnelles. Prenant place peu après le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme en 2008, l'objectif ultime de cette conférence était de promouvoir les droits humains.

« Nous tenons un miroir au monde dans lequel tous les systèmes judiciaires défectueux à travers le monde sont mis en exergue. Les tribunaux ne protègent pas les gens quand ils abusent de leur confiance et ne fonctionnent pas de manière efficace », estime le juge Pius Langa d'Afrique du Sud.

Dans ce pays, le système judiciaire a été applaudi par de nombreux orateurs mais Gianni Buquiocchio a précisé que si les Cours constitutionnelles et les autres organes judiciaires ne sont pas respectés par les autorités, la primauté du droit alors est en danger. Ses commentaires font référence aux récentes attaques du parti Congrès national africain (ANC) qui avait vivement critiqué les tribunaux suite à une décision de la Cour suprême d'appel infirmant une décision antérieure de la Haute Cour jugeant illégale la poursuite du chef de l'ANC Jacob Zuma pour corruption.

Kgalema Motlanthe, Président d'Afrique du Sud, a déclaré que « les récentes affirmations dans les médias locaux et internationaux prétendant que le pouvoir judiciaire est compromise sont fausses et sans fondement. Oui, il y a eu débat, et parfois, ce débat peut parfois avoir été rude mais c’est un exercice essentiel et bénéfique pour notre jeune démocratie ».

Certains intervenants ont exprimé leur préoccupation au sujet de l'ingérence de l'Etat dans le processus judiciaire et le mépris des droits humains par les autorités. « Aujourd'hui, nous faisons tous l'expérience de nos régions respectives que des excès politiques dénigrent la suprématie de la Constitution par opportunisme politique. La suprématie particratique semble progressivement primer sur la suprématie de la Constitution », s’inquiète le juge JN Peete du Lesotho.

En Afrique australe, le Zimbabwe est un pays qui est constamment dans l'actualité pour les atteintes aux droits humains et pour le manque d'efficacité de ses structures judiciaires. Dans un récent entretien avec l’agence IPS, Jenni Williams, l'une des fondatrices de l'organisation des droits humains Women of Zimbabwe Arise, a déclaré que l'Histoire jugera le dirigeant du pays Robert Mugabe pour la sévérité avec laquelle il a porté atteinte aux droits humains pendant son règne. .

Jani Leornard Fongoh, juge au Cameroun, explique qu’en règle général, les tribunaux ordinaires ont réussi à protéger les droits individuels des personnes mais pas à défendre les individus face à la toute puissance de l’Etat. Les Cours constitutionnelles sont nécessaires pour une bonne application des droits humains lorsque les droits de la personne sont violés par l'État par l'intermédiaire de ses agents. La Constitution du Cameroun intègre les traités internationaux sur les droits humains dans son préambule, mais les mécanismes d'application ne sont pas précisés, ce qui ouvre la porte à des interprétations différentes par différents juges. Ce pays a mis sur pied un Conseil constitutionnel en 2004, et bien que le travail de cet organe est toujours effectué par la Cour suprême, au cas par cas, l’instance a commencé à fléchir ses muscles. Dans plusieurs cas relatif aux élections, il y a eu des décisions contre l'État, ce qui a renforcé la confiance du public dans la jurisprudence constitutionnelle.

Les plus grands organes judiciaires ne sont plus considérés comme de « simples filiales de l'Exécutif » mais comme « un véritable pouvoir judiciaire, qui est prêt à prendre position pour dicter la loi indépendamment des partis ».

En Afrique australe, le Mozambique possède aussi un Conseil constitutionnel depuis 2003. Parmi les décisions importantes figure notamment un décret présidentiel reconnu comme inconstitutionnel en réaffirmant le droit des citoyens vivant à l'étranger de voter aux élections et d'être élu à des fonctions publiques.

Les affaires de corruption dans leurs propres rangs représentent une des grandes préoccupations pour certains juges. Un haut responsable d’une Cour constitutionnelle, qui a demandé à rester anonyme, a déclaré que « dans certains pays, il est fréquent que les juges soient corrompus pour livrer un verdict en faveur de l'une des parties. »

Selon un rapport de réseau d’informations AllAfrica.com, deux juges de la Haute Cour du Kenya ont été suspendus l'an dernier après avoir été reconnus coupables de falsification de preuve judiciaire. En octobre l'année dernière, des militants d’Amnesty International ont publié un rapport accablant contre les juges nigérians les accusant d’avoir fermer les yeux sur des cas de tortures allant jusqu’à la condamnation à mort de personnes ayant plaidé coupables sous l’effet de la torture.

La nécessité de veiller à ce que la justice soit à la disposition de toutes les personnes dans la même mesure a été soulignée par le Président Motlanthe. Il a rappelé qu’une personne vivant dans la pauvreté serait moins encline à faire appel à une Cour s'il était déjà mécontent de la décision d'un tribunal de l’échelon inférieur en raison de l'importance des frais juridiques.

« Les discours prononcés représentent la meilleure façon vanter les différents pays, mais on notera aussi des contributions sérieuses, pratiques et modestes, sur l'expansion de la justice constitutionnelle. La justice constitutionnelle se normalise et est acceptée dans toute l'Afrique », s’est réjouit le juge Albie Sachs d’Afrique du Sud.

(FIN/IPS/2009)