samedi 27 février 2010

La problématique des crises récurrentes dans Les Grands Lacs expliquées aux étudiants de l’Université de Goma


Kinshasa, 26/02/2010 / Politique
Le 23 juin 1994, par une intervention militaire et humanitaire baptisée « Opération Turquoise », instituée pour une durée de 2 mois, la France tente de sauver les meubles, mais elle ne réussit pas à arrêter la descente en enfer d'un Grand-Lacs au pied d'argile.

Les conflits dans la Région des Grands-Lacs ont des origines anciennes qui partent de 1898, lors de la proclamation de la souveraineté allemande sur les deux royaumes intégrés sous une même identité, le Rwanda-Urundi, a déclaré un Assistant de Recherche à l'Université Libre des Pays des Grands-Lacs, qui intervenait devant des milliers d’étudiants.

Selon lui, en 1924, la Société des nations (qui deviendra plu tard l'Onu), place le territoire du Rwanda-Urundi sous mandat belge, transformé en tutelle à 1945. L'administration belge impose à 1931 la délivrance d'une carte d'identité aux rwandais, mentionnant leur appartenance aux communautés hutu, tutsi et twa qu'ils considèrent comme des ethnies. A l'aube des indépendances et même bien après, divers conflits éclatent dans les pays de la région des Grands-Lacs.

Le gouverneur de la province du Nord-Kivu, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a indiqué que déjà au Rwanda, le 1er novembre 1959, éclatait la révolte des hutus dite « révolution sociale » ou « toussaint rwandaise » avec les conséquences qui sont connues de tous.

Selon Julien Paluku, dans ce même pays, on signale en décembre 1963, une tentative d'une offensive tutsi qui aboutira à l'exil presque de la moitié de la population tutsi en dehors du pays. Cette tentative sera rééditée le 1 er octobre 1990 par le Front Patriotique Rwandais (Fpr) soutenu par l'Ouganda.

Le Zaïre à l'époque, la Belgique et la France à travers l'opération dite « Opération Noroît » apportent un soutien militaire au Président Habyarimana. Malgré la signature des accords d'Arusha le 4 Août 1993 en Tanzanie, entre le Gouvernement et le Fpr, malgré la création en octobre-décembre 1993 de la Minuar (Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda), le Président Habyarimana ainsi que son homologue Cyprien Ntayiramira du Burundi seront abattus le mercredi 6 avril 1994 ouvrant ainsi la voix au génocide rwandais suivi de la prise du pouvoir par le Fpr et la traversée des frontières congolaises par des millions des populations rwandaises et d'éléments Ex-Far et Intirahamwe.

Le 23 juin 1994, par une intervention militaire et humanitaire baptisée « Opération Turquoise », instituée pour une durée de 2 mois, la France tente de sauver les meubles, mais elle ne réussit pas à arrêter la descente aux affaires d'un Grand-Lacs au pied d'argile.

Le 4 juillet 1994, le Fpr entre dans la capitale rwandaise et le 17 juillet, est formé le 1 er Gouvernement de l'unité nationale dirigé par le Premier Ministre Faustin Twagiramungu (dit hutu modéré) avec comme Président Pasteur Bizimungu (dit également hutu modéré) et comme Vice-Président Paul Kagame (tutsi). Afin de juger les personnes présumées responsables du génocide rwandais, Arusha devient le 22 février 1995, le siège du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, institué par la résolution du conseil de sécurité de l'onu, le 8 novembre 1994.

Au Burundi par contre, entre mars et juin 1972, l'on note l'insurrection des hutu contre le pouvoir tutsi avec comme conséquence l'exil de plus de 200 000 burundais vers la Rdc, la Tanzanie et le Rwanda.

Le 2 octobre 1987, le Major Pierre Buyoya devient Président de la République du Burundi après un coup d'état militaire. Celui-ci organise les élections et Melchior Ndadaye (un hutu), par une victoire inattendue devient, à travers les élections de juin 1993, le premier Président Hutu élu démocratique avec 65% des voix. Malheureusement, le 22 octobre 1993, Melchior Ndadaye est assassiné, avec comme conséquence le début de la guerre civile et la formation de plusieurs milices dont le Palipe Hutu, le FNLnl, le Cndd, …

La République du Congo quant à elle, ensuite Zaïre et enfin la République Démocratique du Congo, n'est pas restée en marge de ces turbulences. Un premier conflit éclate au Nord-Kivu déjà en 1963 dans la région de Masisi opposant les populations venues du Rwanda à partir des affrontements signalés ci-haut, c'est-à-dire la révolte de 1959 et celles qui s'appellent autochtones. Point n'est besoin de revenir sur les sentiments douloureux que cela a provoqué.

Mais, parce qu'il m'a été demandé de parler spécialement du Nord-Kivu, permettez-moi de résumer cinq événements traumatiques que la Province a connu depuis 1960.

Cinq événements traumatiques

Comme souligné plus haut, les événements dans la région du Grand-Lacs ont toujours joué un rôle dont le qualificatif revient à chacun de vous dans la situation politique du Nord-Kivu. Pour s'en tenir à la période la plus récente, cinq événements traumatiques ont pu ainsi modifier l'équilibre inter et intra-ethnique dans la province du Nord-Kivu.

1°) Le massacre de 1993 à Ntoto

Pour Etienne Rusamira, les présidents zaïrois (congolais) Mobutu et rwandais Habyarimana furent pendant longtemps des alliés politiques, mais aussi de très proches amis en "affaires". C'est dans ce cadre que le premier aurait vendu (ou offert) de vastes étendues de terre au second et à d'autres politiciens rwandais, dans la localité de Ntoto, sur le territoire de Walikale, habité en majorité par les Nyanga.

Habyarimana y fit installer une large population hutu rwandaise, chargée de mettre en valeur ces espaces. Mais, très vite, un conflit opposa les autochtones à ces populations. Certaines sources affirment que ces derniers n'obéissaient pas à l'autorité locale et se permettaient même de hisser le drapeau rwandais sur le territoire congolais.

Selon Mathieu et al. 1998 ; Sheldon 1996, Reyntjens 2000, l'irréparable se produisit un dimanche du mois de mars 1993 lorsque la population hutu étant au marché et dans les églises, fut surprise par une attaque meurtrière de miliciens autochtones : le nombre de morts n'a jamais été connu, mais diverses sources avancent le chiffre de 14 000 personnes massacrées. Les survivants regagnèrent le pays natal mais ce massacre déclencha des violences interethniques qui durèrent alors plusieurs mois. Tel est le premier événement traumatique vécu dès les 1eres heures de l'indépendance ici au Nord Kivu.

2°) L'arrivée massive des réfugiés rwandais en 1994

A cet égard, avant le génocide de 1994 au Rwanda, un conflit opposait déjà, comme on vient de le décrire ci-haut, les populations d'expression Kinyarwanda d'un côté, et, de l'autre, les Nande, les Hunde et Nyanga au Nord-Kivu. Mais, avec l'arrivée massive dans cette province des réfugiés rwandais encadrés par les miliciens hutu extrémistes Interahamwe et des éléments des ex- FAR, les alliances locales changèrent de nature particulièrement dans le Masisi.

Vers mai 1996, presque tous les Tutsi de Masisi avaient pu trouver refuge au Rwanda ; ce qui constitue d'ailleurs le fondement actuel de la problématique liée au retour des réfugiés congolais basés dans les 3 camps dont celui de Gihembe visité dernièrement par la délégation Congolaise.

Le 12 mai 1996, le dernier regroupement des tutsi à Mokoto et Kichanga fut attaqué par les milices rwandaises et les ex-FAR poussant les survivants au refuge. Voilà le 2eme événement traumatique signalé au Nord Kivu.

3°) La Guerre de libération menée par l'AFDL

En octobre 1996, débute la rébellion appelée au départ « la rébellion de banyamulenge » soutenue militairement par le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda. Par la suite, les opposants au régime du feu Président Maréchal Mobutu Sese Seko, dont Laurent Désiré Kabila, apparaîtront au grand jour pour former l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (Afdl).

De la sorte, certains de ceux qui étaient chassés de la province par le cours des événements y revinrent alors surtout sous la forme d'une intégration dans la nouvelle alliance.

Des camps des réfugiés rwandais couplés aux ex-Far seront démantelés, poussant certains au retour spontané vers le Rwanda et d'autres s'enfonçant dans les forets congolaises.

Sur le plan ethnique, la constitution de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (Afdl), lançant une offensive militaire contre le régime Mobutu, va avoir pour effet un double renforcement du clivage ethnique au Kivu : entre Hutu et Tutsi congolais d'une part, entre Tutsi et autres communautés de l'autre. En clair, la première guerre du Congo (1996-1997) a agi sur les deux dimensions des conflits communautaires au Nord-Kivu, à savoir inter et intra-ethnique.

4°) La deuxième guerre de rectification initiée par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD)

Au cours de cette deuxième guerre, qui a commencé le 2 août 1998, on a observé une politique différente de celle de la période de l'Afdl envers les communautés ethniques locales.

Non seulement il a été imposé des cadres d'autres communautés au sein du mouvement rebelle du Rassemblement congolais pour la démocratie basé à Goma, mais on a vu parallèlement se réconcilier les deux communautés antagonistes de par l'histoire, avec semble-t-il des meilleurs résultats que ceux obtenus pendant la période de l'Afdl. Mais là aussi, on va noter une radicalisation de membres d'autres communautés face à un Rcd jugé comme le véritable Cheval de Troie.

De la lecture des analystes, la rébellion du 2 aout 1998, a engagé sur le sol congolais 7 pays, à savoir : le Rwanda, l'Ouganda, le Burundi, d'un côté et l'Angola, la Namibie, le Zimbabwe ainsi que le Tchad (qui se retire rapidement des combats) de l'autre.

Devenue le théâtre des affrontements, la Rdc connaîtra en Août 1999, ensuite en mai et juin 2000 des combats entre les armées rwandaise et ougandaise à Kisangani où elles se disputent le contrôle de cette ville considérée comme plaque tournante du marché des matières premières.

Face à cette l'hécatombe, l'Onu, par la résolution 1279 du Conseil de Sécurité autorisera la création de la Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo, Monuc en sigle. Le 16 juin 2000, la résolution 1304 de l'Onu ordonnera le retrait de toutes les troupes étrangères du territoire congolais, malheureusement sans fixer la date limite.

Comme nous l'avons pu le constater tous, Muzee Laurent Désiré Kabila sera assassiné le 16 janvier, remplacé le 26 janvier 2001 par Joseph Kabila Kabange. Dès lors fut relancé le processus de paix, puis la tenue du dialogue inter-congolais qui a abouti le 17 décembre 2002 à l'accord politique global et inclusif sur le partage du pouvoir pendant une période de transition de 2 ans.

5°) La guerre du Cndp

Bien avant que le Cndp ne soit connu formellement comme congrès national pour la défense du peuple, déjà en avril 2004, alors qu'on est en pleine transition, la tension monte à nouveau entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo après l'attaque d'un village rwandais par les rebelles dites Fdlr.

Le 16 mai 2004, le Gouvernement Congolais nomme les nouveaux gouverneurs de 11 provinces, ce qui ouvre la voie à la restauration de l'autorité de l'état. Quelques jours plus tard, les commandants des régions militaires seront nommés et Laurent Nkunda sera de ceux qui refuseront de répondre à la nomination du Gouvernement Congolais qui venait de l'élever au rang de général de brigade.

C'est quelques jours plus tard que les intentions du général dissident seront dévoilées lorsque du 26 mai au 09 juin 2004, il s'emparera de la ville de Bukavu dans une coalition avec son frère le colonel Mutebusi. Sous la pression de la communauté internationale, Laurent Nkunda se retirera de Bukavu et les Fardc tenteront de le poursuivre sur la route de Nyabibwe vers le Nord-Kivu.

Dès lors naquit l'idée de la création du Cndp qui fit ses premières incursions à Sake déjà en 2006 et puis en 2007 avant d'embraser la situation sur l'ensemble de la Province du Nord-Kivu, du moins dans sa partie Sud (Masisi et Rutshuru particulièrement). Comme on a pu le constater, les fibres ethniques ont encore une fois servi d'accordéon dans cette guerre dont les revendications étaient essentiellement basées sur les Fdlr et le retour des réfugiés congolais se trouvant au Rwanda.

Mieux qu'en 1998, la population congolaise a lu un autre Cheval de Troie même si le 21 janvier 2009, l'inattendu est arrivé chez le compatriote Laurent Nkunda alors déchu de son grade de général de brigade quelques années plus tôt par le Gouvernement Congolais. A suivre.

Radio Okapi.net


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(CL/PKF