samedi 14 mars 2009

Rwanda : les Kigalois expropriés sont désemparés

Rwanda

(Syfia Grands Lacs/Rwanda)

Depuis juin 2008, de nombreux habitants des quartiers populaires de Kigali, au Rwanda, sont expropriés par l'État : leurs maisons doivent laisser la place à des immeubles modernes. Les propriétaires dépossédés estiment être insuffisamment indemnisés pour pouvoir se reloger.

"Nous venons de passer 3 jours sur les ruines de ce que fut notre maison. Je ne sais pas où aller, ni où héberger mes enfants", s’inquiète Jacky, veuve avec 4 enfants à charge, dans le secteur Gatenga de Kigali. Sa maison a été démolie au début de l’année sans avertissement et sans indemnisation. Beaucoup de familles doivent affronter une telle situation. Comme l’a annoncé le maire de la capitale rwandaise, lors du conseil de sécurité en janvier dernier, "toutes les habitations qui ne remplissent pas les conditions exigées par le plan seront détruites".
Le plan directeur de la ville, établi pour les cinquante années à venir par des architectes américains, prévoit la construction ordonnée de quartiers résidentiels, quartiers pour le commerce ainsi que des infrastructures. "Cela permettra d’assurer la propreté et la sécurité", estime Kayigirwa, chargée des Affaires sociales dans l'un des secteurs de la ville. Dans ces bidonvilles construits sans plan, les maisons très petites sont serrées, avec de minuscules passages entre elles. Mais, les conditions de relogement des personnes expropriées des trois secteurs de Kigali sont délicates.

Une indemnisation insuffisante
"Tout a commencé avec l’expropriation de plus de 300 familles du quartier communément appelé Kiyovu dans la ville de Kigali", rappelle Steve M., journaliste à la Radio nationale. Peuplé de personnes aux revenus moyens, ce quartier, actuellement en chantier, avait gardé son aspect rural depuis des années. Pourtant, les habitants ne seront pas en mesure de payer le loyer des nouvelles maisons modernes, trop élevé pour eux. "Avec mon revenu mensuel, je ne serai jamais capable de construire un immeuble à huit niveaux, tel qu’exigé par le plan", confie Bosco Safari, qui, après avoir quitté Kiyovu, est désormais locataire dans le quartier Nyamirambo.
La loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique du 19 avril 2007 stipule que toutes les terres appartiennent à l'État qui peut en disposer quand bon lui semble, moyennant une indemnité équivalente à la valeur de l'habitation qui se trouve sur la parcelle. "Les frais d'expropriation sont vraiment minimes par rapport à ce que nous avons perdu", affirme Marie-Louise U. Selon elle, la Commission des terres, qui se charge de l’achat et de la vente des terres, ne se base pas sur la valeur actuelle des maisons, mais sur celle qu'elles avaient lors de leur construction, "Ils devraient être conscients que les prix ne cessent d'augmenter et ainsi donner plus de valeur à nos propriétés", poursuit Caroline. "Avec les 3 millions de Frw d’indemnisation, il m’est impossible de faire bâtir une maison de ville dont la valeur sera de plus de 18 millions de Frw", se plaint-elle. Les espaces libérés ont été vendus à des investisseurs privés, notamment chinois, qui vendront ou loueront ensuite les appartements aux nationaux.

Relogements inadaptés
Face à cette situation, des solutions sont proposées comme l'achat d'une maison dans les nouveaux quartiers semi-urbains tels que Batsinda, à 12 km du centre-ville. Toutefois, dans ces secteurs, les logements ne sont pas assez nombreux et ne correspondent pas aux besoins de tous. "Comment pourrait-on nous obliger à quitter la capitale, alors que nous y gagnons notre vie?", se demande Alfred Nsabimana, un guide-maçon. Habiter en dehors de la ville lui occasionnerait des frais de déplacement quotidiens bien trop élevés. Ces maisons, qui coûtent 2,5 millions de Frw (5 000 $), sont construites selon un plan identique : 3 chambres, une cuisine et une salle de bain. "Elles ne conviennent pas pour une famille nombreuse comme la mienne", témoigne Karugarama, une expropriée.
Face aux réticences de nombreux habitants à quitter leur maison, la mairie a été obligée de recourir à la force, explique un agent du commissariat de Kigali. "C’est inquiétant, car certains ne sont pas satisfaits par les propositions avancées, gèrent mal les frais d'indemnisation et ne seront pas capables de s'offrir un nouvel hébergement",constate-t-il. Les expropriations sont de plus en plus nombreuses à Kigali comme dans tout le pays. "Nous optons pour la modernisation, mais il faut que l'État revoie les conditions dans lesquelles se passent les expropriations pour que cela n’empiète pas sur les droits de l'homme", a déclaré un représentant du CLARIDHO, une association de protection des droits de l'homme, lors d'une conférence de presse à Kigali, en janvier dernier.