mardi 15 septembre 2009

Mbuji-Mayi : nourrir les examinateurs pour être mieux coté

par Jean-Marcel Mukendi RD Congo (Syfia Grands Lacs/RD Congo)

Dès la rentrée scolaire, des élèves finalistes du Kasaï oriental épargnent pour s’assurer les bonnes grâces des jurys des examens de fin d’année. Sous prétexte de transport et de nourriture, c’est d’un véritable achat de points qu’il s’agit.

À Mbuji-Mayi, dans la province du Kasaï oriental, au centre de la RD Congo, les élèves finalistes des humanités ont pris l’habitude de préparer de la nourriture pour les enseignants et inspecteurs qui passent dans leurs écoles respectives pour les examens. Riz, foufou, haricot, poulet, voire bière composent le menu offert par les élèves à leurs examinateurs. Dès la rentrée scolaire de septembre, les finalistes pensent à constituer une caisse en vue d’avoir une enveloppe consistante en fin d’année pour garantir leur réussite.
À l’origine, les élèves apportaient une simple collation aux membres du jury qui se réunissent la journée entière. Mais, depuis deux ou trois ans, la pratique est devenue une quasi-obligation. Pour les inspecteurs, c’est l’occasion de se faire un peu d’argent sur le dos des élèves. Kamanji Kadiebue, enseignant et membre d’un jury, explique ainsi que ″quand ils arrivent dans les centres scolaires, les inspecteurs demandent s’il y a une quelconque organisation″, c'est-à-dire de l’argent et à manger. Ce que confirme sous anonymat une enseignante, elle aussi membre de jury : ″Les élèves ont toujours le droit de préparer pour les inspecteurs qui passent la journée entière dans un centre, mais c’est devenu comme une obligation. Les examinateurs doivent impérativement manger et recevoir une enveloppe à la fin de toute l’épreuve.″ Une enveloppe pudiquement baptisée "transport.

Caisse noire…
Selon Rebecca, élève finaliste en 2009, ″lors du jury d’examen pratique, nous avions cotisé chacun pour 4 500 Fc, soit plus de 5 $. Chacun de nous se sentait tenu de contribuer par crainte sinon d’avoir une mauvaise cotation″. Cette pratique ne concerne d’ailleurs pas que les membres du jury venus de l’extérieur, mais a lieu aussi durant la session normale d’examens d’État qui se passe chaque année à la fin du mois de juin. ″Nous avions une caisse appelée caisse noire dans laquelle chacun de nous était obligé de mettre 20 $. Cette somme a été remise au préfet qui, à son tour devait la remettre au chef de centre et aux différents services de l’État. Tout cela dans le but de corrompre afin d’être libres dans des salles d’examens″, explique encore Rebecca.
Les inspecteurs rejettent la responsabilité sur les enseignants et les élèves. Pour l’un d’eux, ″au moment du jury pratique et examen d’État, avec le soutien de chefs d’établissement et d’enseignants, les élèves proposent des enveloppes et à manger aux examinateurs, soit disant "transport". Pourtant, aux dires des élèves, cette corruption morale a clairement pour but d’améliorer les cotations, donc d’influencer le jugement des examinateurs. H. M., un finaliste de 2008, ajoute que même si, parfois, certains réussissent sans voir rien donné, et sont alors protégés par les apports des autres, chacun se sent obligé de contribuer, de peur d’échouer. D’autant plus que, vu le niveau très bas des élèves ces dernières années, ceux qui ne sont pas sûrs d’eux-mêmes préfèrent se donner toutes les chances.

Pour tout le monde…
L’inspecteur déjà cité le reconnaît : ″Au moment des examens d’Etat, les chefs d’établissement remettent aux chefs de centre d’examen des enveloppes plus consistantes que celles de l’Etat″. Cette corruption ne se limite d’ailleurs pas aux examinateurs et aux inspecteurs, mais concerne aussi les surveillants. Jean-Claude, élève finaliste en 2009, raconte : "Dans la salle d’examens, nous étions obligés de remettre 200 Fc par élève au surveillant. L’élève qui voulait communiquer avec l’extérieur grâce à son téléphone portable devait, lui, donner 500 Fc.″ Encore une fois, l’inspecteur confirme : ″Plusieurs services sont présents lors des examens : l’Agence nationale des renseignements, la Police, le gouvernement… Ils vont dans des salles pour recevoir de l’argent des élèves. Même les organisations des parents.″ Officiellement, les inspecteurs affirment toutefois que cela se fait à leur insu.
Les examens d’État, tout comme les épreuves appelées "jury pratique", sont organisés par l’État, dans des centres où sont rassemblés les élèves de plusieurs écoles, publiques, religieuses ou privées. Certaines directions d’école refusent cependant de faire payer les élèves et interviennent elles-mêmes. ″Chez moi, explique Melle Ursule Dinter, préfet du lycée Muanjadi, les élèves ne cotisent pas. C’est plutôt l’école qui achète quelque chose pour les examinateurs : sucrés, biscuits, arachides, etc., afin que ceux-ci tiennent le coup pendant la journée.″
(Syfia Grands Lacs/RD Congo)