mercredi 10 février 2010

Malaria: Quand des gouvernements refusent des traitements efficaces

Blog Chemk'Africa | Edgar C. Mbanza| 08/02/2010

Avril 2002. Interview avec le Docteur Christophe FOURNIER, responsable des programmes Médecins Sans Frontières – FRANCE

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas seulement le manque d'argent qui empêche les pays pauvres d'accéder effectivement aux traitements efficaces ou aux vaccins. Des gouvernements se montrent parfois réticents à adopter de nouveaux médicaments. Non pas pour des raisons de précaution médicale, mais par manque d'expertise, ou pour des raisons souvent politiques. Au début des années 2000 par exemple, au Burundi, l'ong Médecins Sans Frontières a dû entrer en conflit avec les autorités locales qui lui refusaient l'usage d'un nouvel anti-paludique. Dix ans après, la question est toujours d'actualité. Les médicaments efficaces ne sont toujours pas totalement généralisés et accessibles, faute de mobilisation, alors que les laboratoires annoncent un vaccin "très prometteur" d'ici trois ans. Je vous propose donc un entretien que j'avais réalisé en 2002, avec le docteur Christophe FOURNIER, à l'époque responsable des programmes Médecins Sans Frontières, qui nous décrit les multiples enjeux autour de l'introduction d'un nouveau médicament, à partir du cas burundais.

Nous sommes dans un pays où une forte épidémie de malaria a atteint presque 50% de la population, faisant plusieurs dizaines de milliers de morts en quelques mois. Pourtant, le gouvernement vous a refusé l'utilisation d'un nouveau médicament efficace. Que s' est-il passé exactement ?

Dr Christophe FOURNIER : Le Burundi fait face à une situation très alarmante, en particulier depuis l' année dernière, qui est celle de la résistance du parasite responsable du paludisme aux médicaments habituellement utilisés dans le pays, comme dans la plupart d' autres en Afrique. Alors, devant cette résistance, force est de constater qu' il faut utiliser de nouveaux médicaments; et ces médicaments, ils existent. Malheureusement, le ministère de la santé n'a pas voulu autoriser leur utilisation. Nous avons donc été contraints d' utiliser les anciennes molécules, en essayant de les associer. Mais, avec des enquêtes menées sur le terrain, nous avons vérifié que ces médicaments n' avaient pas du tout l'efficacité escomptée. Nous regrettons beaucoup : médecins que nous sommes, il est toujours bien préférable d' utiliser des médicaments pour lesquels on a entière confiance quant à leur efficacité.

Est-ce que vous avez pu montrer aux autorités médicales locales la nécessité d' utiliser les nouveaux médicaments en lieu et place des anciens ?

Dr Christophe FOURNIER : Des études d' efficacité ont montré dans plusieurs endroits l' inefficacité des anciens médicaments, Chloroquine et Fansidar. D' autre part, les molécules qui sont prônées à l' heure actuelle par l' Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui sont les dérivés de l' artémisinine - issue de la pharmacopée chinoise, donnent un médicament qui a prouvé son efficacité et qui est largement utilisé en Asie depuis une dizaine d' années. Ce médicament n' a plus besoin de faire ces preuves. Je pense que tout le monde est convaincu de la nécessité absolue de l' utiliser. Maintenant, il faut le faire. Il y a certainement des obstacles d' ordre financier, car ces médicaments coûtent plus cher que les anciens.

Quelle est la position de l'OMS? Vous aide-t-elle à convaincre les dirigeants locaux sur la nécessité de changer les protocoles nationaux ?

Dr Christophe FOURNIER : Le discours de l' Organisation Mondiale de la Santé au niveau le plus haut, que ce soit son directeur général Mme Brundtland, ou bien le directeur de cette unité particulière qui s' occupe du paludisme, le Roll Back Malaria, est très clair. Ils recommandent de façon absolue l' utilisation des combinaisons à base des dérivés d' artémisinine dans tous les pays africains qui font face à une résistance aux anciennes molécules. Maintenant il faut que sur le terrain, cette volonté se traduise par des recommandations très claires, par une assistance technique aux différentes études menées afin d' aider à aboutir à des changements de protocoles.

Dans les pays pauvres, le choix des médicaments apparaît aussi comme un enjeu de justice sociale : ceux qui ont les moyens se soignent avec les médicaments les plus efficaces, sans attendre l'aval des gouvernants, tandis que la vie des populations vulnérables dépend de leur décision...

Dr Christophe FOURNIER : Effectivement, aujourd'hui par exemple, on sait que ces médicaments sont déjà accessibles dans les pharmacies privées pour ceux qui peuvent se les payer. Un traitement coûte autour de 8 Euros. Et certains, je crois, parviennent à se faire rembourser une partie par les mutuelles, quand ils travaillent. Ce qui pose le problème au ministère de la Santé, évidemment, c' est que s' il faut utiliser ces médicaments à large échelle, pour l' ensemble de la population, l' investissement devient important, quand on prend en compte le nombre de cas déclarés de paludisme par an. Mais il s' agit quand même de le faire, pour sauver les populations qui ne peuvent pas les acheter. Et là il faut trouver des financements extérieurs.

Comment surmonter cette question des financements, justement? Les combinaisons à base de dérivés d'Artémisinine reviennent en moyenne à 1.30$, alors que les classiques ne coûtent que 0.25$ par traitement pour un adulte.

Dr Christophe FOURNIER : Pour intégrer ces combinaisons efficaces le coût additionnel ne représente que 19 millions de dollars par an pour l'ensemble de 5 pays : le Burundi, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, par exemple. Il me semble que le manque de ressources financières ne pourrait en aucun cas expliquer le manque de volonté des gouvernements.

En plus des tergiversations locales, on sait aussi que le marché international du médicament est très compliqué...

Dr Christophe FOURNIER : C' est vrai qu' il y a par exemple, pour des raisons diplomatico-commerciales, certains pays qui sont peu enclins à voir un médicament chinois s' imposer sur le marché africain, et surtout pour ce qui est du paludisme. Ces pays voudraient réserver cette place à certains médicaments encore à l' état de recherche. Cependant, je pense sincèrement qu' il y a des pays qui sont prêts à financer les nouveaux traitements. Il existe aussi sur un plan international ce qu' on appelle le « Fonds Global » qui met de l' argent sur les trois grandes maladies qui sont le Sida, la Tuberculose et le Paludisme. Et nous-mêmes au niveau de MSF-France, avec toute l' équipe de la campagne d' action médicaments, sommes prêts à aider dans ce sens. Oui, je considère qu' il y a à l' heure actuelle, au niveau de l' Afrique et sur le paludisme, un véritable scandale : le désintérêt de certaines grandes puissances. La malaria tue plus de deux millions de personnes par an en Afrique. Pourtant, elle n' est pas considérée comme une priorité dans les pays riches. Je trouve que c'est l' un des grands scandales de notre époque ; et que tous ensembles devrions nous mobiliser pour que cela cesse.
Propos recueilli par Edgar C. Mbanza