samedi 28 février 2009

Burundi : les zones d'ombre de la lutte contre la corruption

par Béatrice Ndayizigamiye

(Syfia Grands Lacs/Burundi)

Au Burundi, les nombreuses institutions chargées de lutter contre la corruption et les malversations économiques obtiennent de premiers résultats. Mais, certaines d'entre elles, à l'image de l'Inspection générale de l’État, se heurtent toujours à des résistances de plusieurs services publics, aux blocages de la Justice et à un certain flou juridique.

Plus de 2,5 milliards de Fbu (2 millions de $ environ) ramenés au Trésor public en 2008 grâce au contrôle des finances de l’État et de plusieurs de ses structures. À lui seul, le secteur pétrolier aurait un montant avoisinant le double à reverser. Au Burundi, l'Inspection générale de l’État (IGE), qui présentera le mois prochain son rapport annuel, se félicite d'avoir fait reverser dans les caisses de l’État des sommes colossales qui étaient sur le point de disparaître dans les poches de certains gestionnaires de la chose publique. "Notre rôle est de prévenir les malversations économiques, précise l’Inspecteur général de l’État Alexandre Nakumuryango, même si au terme de nos investigations, nous pouvons mener une action répressive en portant plainte."
En 2008, une quinzaine de dossiers ont ainsi été envoyés devant la Justice. L’Inspecteur général déplore que ces dossiers ne connaissent généralement pas les suites escomptées. Au Parquet général de Bujumbura, les magistrats interrogés estiment que ces retards dans le traitement des dossiers s'expliquent en partie par le mécontentement des cours, autres que celles qui traitent de la corruption, dont les agents ont des salaires et des avantages nettement supérieurs aux leurs.

Clarifier la loi
Selon M. Nakumuryango, la loi permet à l'Inspection de contrôler tous les services de l’État, y compris ceux du Parlement et de la présidence de la République. Il reconnaît toutefois que certaines de ces institutions sont parfois réticentes... Les agents de l’IGE sont alors en droit de les y contraindre, à défaut de les convaincre, précise-t-il. L'idéal étant, bien sûr, de ne pas en arriver là et d'expliquer aux plus réticents qu’il est dans leur intérêt d’être contrôlés.
Au terme de deux ans d’activité, l'IGE a vu sa tutelle changer. Créée par décret en septembre 2006, elle a dépendu du ministère de la Bonne gouvernance jusqu'en 2008. Une loi l’a alors rattachée directement à la présidence de la République. Nouveau rebondissement en janvier 2009 : un autre décret l’a ramenée au ministère de la Bonne gouvernance. De l’avis d'un juriste, il est inconcevable qu’un décret annule une loi, car juridiquement parlant, la loi prime sur le décret. "Cette situation ne peut durer. Elle devra être clarifiée", reconnaît Alexandre Nakumuryango.

Impunité et statu quo
Il paraît d'autant plus urgent de clarifier les choses que, en matière de lutte contre la corruption et les malversations économiques, le travail ne manque pas... Au sein de la société civile, l'Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome) relève une augmentation du nombre de cas. Dans son rapport annuel publié fin janvier 2009, il chiffre à près de 25 milliards de Fbu (20 millions de $ environ) le montant des sommes à recouvrer par l’État burundais. Parmi les 238 dossiers traités : la mauvaise gestion du charroi de l’État, des décisions illégales qui ont fait perdre de l'argent au Trésor public, le mémorandum en vue de la privatisation de certaines sociétés publiques ou para étatiques, dont le caractère illégal a fait l’objet de plusieurs dénonciations, etc.
Dans son rapport, l’Observatoire regrette que la Haute Cour de Justice laisse impunies les plus hautes autorités de l'État. "Les nouvelles institutions réputées spécialisées (brigade anti-corruption, Parquet général près la Cour anti-corruption, Cour anti-corruption) ne sont pas compétentes pour connaître la corruption et les malversations des autorités politico-administratives sous la couverture du privilège de juridiction (droit donné à certaines personnes de comparaître devant une juridiction autre que celle à laquelle les règles du droit commun attribuent compétence, Ndlr)", martèle Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome.
Pour lui, les autorités compétentes préfèrent rester dans le flou juridique actuel. "Nous craignons que les mêmes forces qui ont fait retirer le projet de révision de la loi anti corruption de la table du Parlement en 2007 œuvrent pour que sa révision tarde le plus possible", souligne M. Rufyiri. Le ministre de la Bonne gouvernance a annoncé que les textes légaux étaient en cour d’élaboration, sans préciser quand la loi serait à nouveau présentée à l’Assemblée nationale.