vendredi 20 mars 2009

Madagascar n'est pas encore à l'abri de l'instabilité

Barry Moody

Andry Rajoelina a pris le pouvoir à Madagascar en évinçant son prédécesseur après deux mois de crise, mais on s'interroge sur sa capacité à le conserver et sur le risque d'une persistance de l'instabilité dans l'île de l'océan Indien.


Rajoelina, 34 ans, a moins de deux ans d'expérience politique réelle. Le soulèvement dont il avait pris la tête à Antananarivo, la capitale, a obligé Marc Ravalomanana à quitter la présidence une fois qu'une grande partie de l'armée s'est retournée contre lui.

Devenu vulnérable à force de traiter par le dédain l'armée et les élites du pays, Ravalomanana n'avait guère amélioré en outre les conditions de vie des 20 millions d'habitants de Madagascar, l'un des pays les pauvres du monde.

Si l'impopularité de son prédécesseur était évidente, on s'interroge aussi sur les chances de Rajoelina à moyen terme. Il a pris les rênes du pays de façon analogue à Ravalomanana en profitant de sa qualité de maire pour mobiliser la population de la capitale, centre du pouvoir politique et économique.

Nul ne sait toutefois si le reste des habitants le soutient dans une "Grande Île" où les communications et les transports sont souvent sommaires. Certains analystes jugent possible que les régions reculées du pays ne soient pas encore informées des derniers événements.

L'ÉCUEIL DE LA PAUVRETÉ

La question centrale est de savoir si Rajoelina est en mesure de triompher de la pauvreté, cause première de la chute de Ravalomanana dans l'opinion. S'il n'y parvient pas, il pourrait très vite se trouver en butte à un mouvement populaire du même type que celui qui l'a porté au pouvoir.

"Le risque existe de voir se poser exactement les mêmes problèmes dans six mois ou un an", note Edward George, expert auprès de l'Economist Intelligence Unit (EIU) à Londres.

"Sa position est très faible, car après tout c'est un jeune type sans grande expérience politique. Il n'a pas vraiment de parti derrière lui", dit pour sa part Stephen Ellis, spécialiste de Madagascar et professeur de sciences politiques à l'Université libre d'Amsterdam.

"Il n'a pas de base politique autonome, sinon la foule urbaine d'Antananarivo, qui à mon avis ne mène pas très loin."

Le conflit intérieur, qui s'est soldé par 135 morts, a beaucoup affaibli une économie déjà frappée par la crise économique mondiale, laquelle a exacerbé la pauvreté.

Les efforts de mise en valeur de la flore et de la faune entrepris pour attirer des touristes à Madagascar sont réduits à peu de chose et il est probable que le secteur touristique connaisse une période sombre. Selon Edward George, il pourrait enregistrer une baisse de 90% cette année.

L'aggravation de l'instabilité ferait obstacle à la reprise.

Avant même les troubles, des entreprises internationales ont donné un coup de frein à des investissements majeurs qui étaient considérés comme l'espoir le plus sérieux de relance économique.

Le renversement de Ravalomanana, président démocratiquement élu, par un adversaire soutenu par l'armée a en outre été largement condamné sur le plan international - en particulier par l'Union africaine, qui s'inquiète des coups de force et tentatives de putsch enregistrés depuis un an sur le continent.

DISSENSIONS INTERNES

Cette réprobation est de nature à limiter fortement les financements extérieurs jusqu'à ce que Rajoelina persuade les donateurs de sa légitimité. Or, il a dit ne pas envisager d'élections avant deux ans.

Rajoelina passe pour avoir le soutien de la classe politique traditionnelle qu'avait délogée Ravalomanana, et notamment de l'ancien président en exil Didier Ratsiraka et ses alliés.

Certains analystes voient en Rajoelina un "porte-parole" de Ratsiraka et jugent possible que sa victoire fasse revenir le pays à la situation antérieure à la présidence de Ravalomanana, époque de dissensions récurrentes au sein de la classe politique traditionnelle.

D'autres pensent aussi qu'une lutte de tendances persiste au sein des forces armées et qu'elle pourrait s'accentuer avec le temps, rendant la situation encore plus incertaine.

"Je vois se profiler de nouveaux problèmes sur le front politique et au sein de l'armée (...) à court terme. Il pourrait y avoir des problèmes de rivalité interne dans l'équipe de Rajoelina", indique Lydie Boka, du groupe StrategieCo.

En revanche, Kissy Agyeman, du groupe IHS Global Insight, est plus optimiste quant aux chances de survie de Rajoelina. Notant qu'il a le soutien de l'armée et de la cour constitutionnelle, elle ajoute : "Cela laisserait penser qu'il est en sécurité relative pour le moment."

Version française Philippe Bas-Rabérin