lundi 18 janvier 2010

BURUNDI 2010: Elections de la peur ou peur des élections?

Umugumyabanga s`exprime.

Dès juin 2010, le peuple burundais passera de nouveau devant les urnes pour se choisir librement ses nouveaux dirigeants pour les cinq ans à venir, soit jusqu`en 2015. Ce rendez-vous des politiciens avec le peuple se passe dans un contexte tout particulier. Le pays se remet timidement des déchirements consécutifs à la guerre civile qui l`a ravagé depuis des décennies et plus particulièrement depuis 1993.

Cette guerre, rappelons-le, a laissé beaucoup de traces. En plus des destructions matérielles, le tissu social en a pris un coup sévère. Il faut tout réparer et redresser. Le peuple se doit de revisiter son histoire et ses valeurs pour mieux se ressaisir! Car effet, bwa bugabo, rya banga, bwa buntu, ont été sérieusement malmené, cédant ainsi libre court aux pratiques peu glorieuses et moins réjouissantes et dont on peut aujourd`hui mesurer les conséquences. Tout est à reconstruire sauf que les forces ou plutôt le courage d`affronter les défis n`y est pas toujours.

A la veille de ce rendez-vous crucial que constituent les élections, les signaux sont au rouge chez une certaine opinion, les médias et l`élite en particulier. De partout fusent les rumeurs, calomnies, insultes et autres ignominies, tapages de tout sorte, conférences de presse tout azimut, alliances contre nature, plaintes auprès des grands de ce monde etc...Tous ces agissements, parait-il, pour manifester ses inquiétudes quant aux élections à venir et prévenir le danger. Et dans tout ça, le méchant est de taille. C`est le parti au pouvoir. C`est son emblème. Ces slogans. C`est cette marée humaine qui répond présents au nom de ce parti. C`est la combativité de ses leaders. L`énergie que dégage le président de la république etc..

Pourquoi tout ça fait peur? Au commencement, c`est histoire car affronter le maquis n`est pas une affaire de tout le monde. Il faut du courage. C`est ensuite le tournant de cette histoire qui a fait de ces hommes et femmes du maquis des responsables légitimes malgré les hostilités de tout part, déjouant ainsi toutes les pièges et pronostics. Car en effet, l`histoire récente du monde libre ne plaidait pas en eu faveur. Ainsi, peu de mouvements armés se sont imposés par la voie des urnes. Parmi ces cas rares, se trouvent le CNDD-FDD de Nkurunziza au Burundi et l`ANC de Mandela en Afrique du Sud. Parce que la cause défendue était juste que le courage ait été légitimé !

Si en Afrique du Sud l`ensemble de la classe politique a accepté le verdict des urnes, il n`en a pas été ainsi au Burundi. A cela, les raisons n`ont pas à chercher dans la cause elle-même mais dans le courage d`affronter la dure réalité du maquis. Le retour triomphal des fils et filles de la nation regroupé au sein du CNDD-FDD a été un cauchemar parce que le processus qui en est suivi a mis fin aux alliances contre nature jusque là érigées en mode de partage du pouvoir et ceci au détriment de la dignité. Il fallait repenser aux nouvelles stratégies dans un contexte dont on ne maîtrise pas forcément les enjeux, avec un acteur de plus, le peuple, jusque là tenu à l`écart par les acteurs d`Arusha.

Après le maquis, la période post-conflit. Si dans certaines situations les cessez-le feu, les accords de paix et les élections n`ont pas suffit pour protéger les civils, le cas du Burundi a été un bon modèle et a surpris plus d`un. Depuis les accords de Pretoria entre le CNDD-FDD et la coalition issu d`Arusha au pouvoir en place à Bujumbura, les armes se sont immédiatement tues, même si un mouvement est resté encore en rébellion quelques années encore.

L`intensité des violences a très rapidement cédé le terrain à une volonté affichée pour une cohabitation pacifique et solide des fils et filles de la nation. Cette attitude a permis au pouvoir issu des élections de 2005 de conduire aisément les actions de pacification de la nation et des esprits. Les difficultés n`ont pas manqué car il fallait déjouer systématiquement les pièges contenus dans les accords dits d`Arusha, contenir une société civile érigée systématiquement en opposition politique, gérer la cohabitation imposée par Arusha et enfin faire face à l`héritage des années sombres de l`histoire du Burundi. Dans tous les cas, le fiasco attendu n`a pas eu lieu! Au contraire.

Après 2010, une nouvelle ère? Certainement oui. Si dans le fond tout pouvoir en place – aujourd`hui et demain- s`inspirera obligatoirement de l`esprit des accords d`Arusha, la survie politique de beaucoup d`acteurs est en danger. Arusha a, en effet, permis à certains hommes et femmes de survivre politiquement mais de manière purement artificielle parce que sans assise populaire. Il suffisait, pour certains membres de partis politiques et de mouvement en rébellion d`entrer en dissidence et de s`autoproclamer leaders politiques d`un jour pour se voir attribuer la qualité de négociateur à Arusha, avec à la clé, les avantages politiques et matériels qui en découlaient. Cet état d`esprit a beaucoup régné et le reste. Pour s`en convaincre, il suffit d`évaluer les partis politiques actuellement enregistrés comme tels et les différentes tentations d`entrer en dissidence observées ces dernières années, y compris au sein des partis principaux. La poursuite de la démocratisation du système politique Burundais va nécessairement reformer en profondeur le paysage politique de la nation: des partis politiques et leurs leaders vont certainement disparaître de la scène politique. Par ailleurs, le conflit burundais a totalement changé de visage. Des querelles inter ethniques d`antan, le peuple doit aujourd`hui faire fasse à d`autres soucis quotidiens: manger à sa faim, se soigner, envoyer son enfant à l`école. En conséquence, il reste peu de place à l`instrumentalisation, aux manipulations de toute nature et aux émotions. Or, beaucoup d`hommes et femmes ont construit leur stature politique sur ces bases. Et si à un moment donné cela a été possible, les temps sont révolus car le peuple a tout compris.

2010, année de bilan, de programme et des projets. Avec le temps, les enjeux électoraux ont changé et le peuple est devenu exigeant. Si hier, les formes d`exclusion dont le peuple a longtemps été victimes ont bel bien favorisé certaines formations politiques au détriment des autres, le combat à venir sera celui du bilan et d`un autre programme. Or, peu de partis ont des réalisations à faire valoir devant le peuple, actuellement seul juge. De manière purement objective, seul le CNDD-FDD et dans une moindre mesure l`UPRONA sous Bagaza - et avant que celui-ci ne sombre dans la dictature qui a caractérisé la fin de son règne- ont un bilan. Au bilan du CNDD-FDD, il y a lieu de citer la lutte armée avec pour conséquence la mise en place des corps de défense et de sécurité dans lesquels le peuple, dans son ensemble, a confiance. C`est le rapatriement des réfugiés, la pacification des esprits avec pour corollaire la banalisation des appartenances ethniques et en toile de fonds une cohabitation pacifique. C`est la gratuité de l`enseignement et des soins pour une certaine catégorie de la population vulnérable, la vulgarisation de l`enseignement et des apprentissages à travers la multiplication des collèges communaux, la construction et équipement des centres de santé à travers tout le pays. De manière générale, la paix règne sur l`ensemble du territoire et le burundais est libre. Bien sur que tout n`est pas rose. Il y a la corruption et les malversations financières de toute sorte, maux dont l`Afrique souffre de manière générale et pour lesquels le Burundi ne fait pas exception, surtout quand on sait les héritages des régimes passés.

Vers plus de légitimité? Tout au long de la législature en cours, des remises en question de l`action du gouvernement et des décisions de l`autorité ont été systématiques. Des acteurs politiques de l`opposition n`ont cessé de s`appuyer sur des dispositions constitutionnelles dont ils ont eux même élaborés et dont ils connaissaient les pièges pour saper l`action du pouvoir. Des organisations dites de la société civile se sont érigées en une forme d`opposition politique ou en organes de contrôle de l`action gouvernementale. Parallèlement, on a assisté à un appui moral et matériel démesuré de cette même société civile par des organisations, voir des pays étrangers, comme si il y avait une volonté manifeste de créer un contre-pouvoir politique! En conséquence, les institutions n`ont pas eu la stabilité nécessaire pour pouvoir mener les reformes utiles pour le pays. Les élections de 2010 renforceront sans aucun doute l`autorité politique, actuellement malmenée par une cohabitation politique qui n`en dit pas son nom. La nécessité de mettre de l`ordre dans certains domaines, y compris l`organisation de la société civil sera nécessairement un impératif, ce qui impliquera une perte de certaines prérogatives, y compris financiers chez certains leaders de cette société. Dans ce contexte, le retour au jeu classique de la démocratie n`est pas du goût de tout le monde et ça fait peur!

Etienne Nyandwi