dimanche 22 mars 2009

RD Congo, Bukavu : s'enrichir sans scrupules dans les Ong et les Églises

par Thaddée Hyawe-Hinyi

(Syfia Grands Lacs/RD Congo)

A Bukavu, être pasteur ou travailler dans une Ong est considéré comme la manière la plus rentable de gagner sa vie. Un véritable business, souvent malhonnête, qui ne contribue en rien au développement de la région. Au point de décourager l'aide extérieure en nette baisse ces dernières années.

"Mon Église, c’est mon Ong", déclare le pasteur Marhegeko de Bukavu, à l'est de la RD Congo. Une phrase révélatrice : au Sud-Kivu, les Ong et les Églises sont, en effet, considérées comme les meilleurs moyens de s'enrichir, sans souci du développement économique de la région.
La province, où vit 4,4 millions d’habitants, compte ainsi plus de 3 000 Ong et de nouvelles Églises apparaissent chaque jour. Dans les deux cas, c'est la manne de l'aide étrangère que visent les promoteurs de ces organisations. Voyant le train de vie mené par les animateurs des Ong et la baisse des subventions ces dernières années, certains préfèrent aujourd'hui créer des Églises et demander à leur tour des financements extérieurs.
Car les bailleurs de fonds, qui financent les Ong pour améliorer la vie des populations locales, en particulier des agriculteurs, et relancer l'économie, se sont découragés et ont fortement réduit leur aide. De nombreux gestionnaires trafiquaient les comptes, faisant valoir des prestations de personnes fictives, de coûteuses réunions qui n'ont jamais eu lieu, des achats d'intrants agricoles et des crédits destinés aux groupes de base qui ne leur sont jamais parvenus… Autant de détournements qui ont terni l’image de ces Ong au pays et à l’extérieur et n'ont pas permis le développement attendu. "Depuis 18 ans, j’ai adhéré à l’Union des ressortissants de Kabare (UREZOKA) qui travaille pour améliorer les conditions de vie de la population. À ce jour, je n’ai guère avancé", regrette Athanase Mufungizi, membre de cette union.
Ces dernières années, les bailleurs de fonds ne financent plus les salaires du personnel et les réunions des structures inefficaces dirigées par des animateurs peu scrupuleux. Le personnel de ces Ong reste souvent impayé "mais il faut payer des impôts mensuels sur la rémunération du personnel, payer le décompte final aux agents qui démissionnent, alors que nous ne sommes plus financés", regrette Raphaël Wakenge, coordonnateur d'Initiative congolaise pour la justice et la paix (ICJP).
Pourtant, de nouvelles initiatives naissent et leurs dirigeants se targuent de les faire fonctionner avec des moyens personnels, espérant sans doute glaner malgré tout quelques sous.

Priorité à la quête
Les Églises ont pris le relais des Ong pour les gens sans état d'âme. C'est une autre forme de business qui vise les poches des fidèles tout autant que l'aide étrangère. Aux quatre Églises traditionnelles (catholique, protestante, musulmane et kimbanguiste) se sont ajoutées celles dites de Réveil, réputées être des "trompeuses de fidèles", selon Benjamin Murhesa, un catholique du Mouvement sacerdotal marial. Bon nombre d’entre elles fonctionnent comme des Ong. "Dans ces Églises, les prédications visent les recettes en espèces et tous les cultes sont centrés sur la quête", explique Janvier Nigane, coordinateur du Carrefour d’initiatives pour le développement communautaire. Concerts payants, campagnes d’évangélisation, veillées bibliques et banquets sont financés par les Églises européennes et américaines.
Le nduguïsme (le fait de favoriser son frère de sang, Ndlr), est aussi devenu la règle dans les Églises et les associations. "Les responsables ne recrutent que des frères en Christ ce qui occasionne aussi le manque de compétences dans le milieu professionnel", dénonce Texas Barhalibirhu, un assistant d’enseignement supérieur.
Les radios locales dénoncent de plus en plus les pasteurs fraudeurs et les dérapages des responsables d’Ong, comme ce pasteur du Service d’évangélisation internationale (SEI) qui demandait aux femmes de lui donner leurs bijoux en or avant de prier pour elles ou ces animateurs d’Ong qui, une fois le financement en main, ont disparu dans la nature et dont on est sans nouvelles à ce jour.
Pour redorer leur image, les Ong présentent désormais leurs budgets lors des réunions des membres. Les bailleurs de fonds sont aussi devenus plus stricts. "Chaque année, reconnaît Raphaël Wakenge, notre bailleur envoie un expert qui audite les comptes et vérifie l’application des décisions prises."